
Il était une fois, les capteurs magiques
IL ÉTAIT UNE FOIS…
les capteurs magiques

— Maman, raconte-moi l’histoire des capteurs magiques !
— D’accord, mon cœur. Mais tu sais, depuis quelques temps, elle n’a plus vraiment de fin heureuse…
Un rêve et de belles promesses
Il était une fois, un monde singulier : le Royaume de l’Insulinodépendance. Au sein de cette contrée étrange, les habitants ne produisaient plus leur propre insuline.
— Comme toi ? Ils devaient tout calculer et se faire des piqures alors ?
— Oui, l’insuline est essentielle. Si on n’en produit pas, on se doit de connaitre nos besoins et s’injecter la bonne quantité d’insuline pour rester en vie.
Leur vie n’était pas de tout repos… Parfois, ils avaient trop de sucre dans le sang, et ils avaient très soif. Parfois, ils manquaient de sucre dans le sang, et il leur fallait alors se resucrer. Pour le savoir, le seul moyen était de se piquer le bout du doigt, et de placer la goutte dans un artefact magique. C’était douloureux et vraiment pas pratique, mais il fallait le faire au moins 4 ou 5 fois par jour.
— C’est pour ça que tu râles quand tu dois te piquer ?
— Oui… J’ai eu tant de petits trous que mes doigts ressemblaient à des cartes de constellation.
Mais un jour, deux grands magiciens vinrent bouleverser le destin du Royaume.
Le premier se nommait Abbott. D’un geste élégant, il présenta un médaillon blanc à insérer sur la peau. Ce capteur, dit-il, murmureraient à l’oreille des habitants la vérité sur leur sucre intérieur. Et il sauverait bien des nuits de sommeil.
Plus besoin de se piquer. Plus besoin de réveiller les enfants. Un simple coup d’œil, et le taux s’affichait, comme par magie. Les habitants du Royaume n’en crurent pas leurs yeux. Le soulagement fut immense. Et les promesses nombreuses.
Puis vint Dexcom, le deuxième mage. Il proposa quant à lui une navette légèrement plus grande, mais plus précise. En effet, il arrivait fréquemment au petit médaillon d’Abbott de ne pas réussir à donner des résultats aussi fiables que les piqures au bout du doigt.
Certains choisirent alors la navette, d’autres restèrent avec le petit médaillon.
Il y avait bien un autre enchanteur, Medtronic, avec son capteur coquillage. Mais ce dernier n’acceptait de partager ses inventions qu’avec les porteurs de sa propre magie, un cercle restreint.
Prémices de la magie noire
— Et alors ? Tout le monde était heureux ?
— Presque. Parce que la magie, parfois, monte à la tête…
Un jour, des habitants remarquèrent des brûlures là où le médaillon blanc reposait. Des cloques, des démangeaisons, des marques douloureuses. Ils demandèrent au mage Abbott de révéler ce qu’il mettait dans ses artefacts. Mais Abbott refusa. La recette, disait-il, relevait du secret sacré.
— Mais c’est pas gentil ça !
— Non, mon cœur. Et le plus triste, c’est qu’il avait changé d’ingrédient sans prévenir. Quand les réactions sont devenues trop nombreuses, il a été contraint de revenir en arrière.
Ce jour-là, les habitants du Royaume comprirent une chose essentielle : Toute magie, quand elle devient trop puissante… finit par corrompre son enchanteur.
Et pourtant, ils n’avaient encore rien vu.
L’impact des capteurs magiques
Les années passèrent, et chacun des mages affina ses artefacts. Le médaillon blanc n’avait plus besoin d’être effleuré pour révéler ses secrets. La navette, quant à elle, devint plus facile à poser, sans rien perdre de sa précision légendaire.
Le Royaume s’habitua à cette magie. On l’enseignait aux jeunes. On l’utilisait même sur les tout-petits. Les habitants purent être en meilleure santé, et vivre plus sereinement qu’avant. Ou presque.
Car rapidement, un nouveau comportement fit son apparition dans le Royaume : le contrôle absolu. Petit à petit, l’insouciance d’antan s’effaça. Les habitants commencèrent à scruter leur écran magique à tout instant. À guetter la moindre variation, la plus petite montée, le plus discret des décrochages.
On glorifia les courbes parfaites, droites comme un sifflet royal. On inventa même un mot pour désigner la glycémie rêvée : la licorne.
— Pourquoi tu ris ?
— Hier, j’ai dit à Papa que tu passais plus de temps à regarder ta glycémie… qu’à jouer sur ton téléphone.

Et la magie se brisa
Tout le monde attendait que les mages améliorent leurs capteurs magiques en les rendant encore plus discrets. Et un jour, l’annonce tant attendue arriva ! Ils avaient inventé une nouvelle génération de capteurs. Plus petits. Plus fins. Plus beaux. Et surtout, encore plus magiques.
Les habitants du Royaume se réjouirent d’avance. Après tout, si les capteurs étaient déjà si efficaces, cette nouvelle version serait forcément plus performante, non ?
— C’est comme quand il y a une suite d’un bon film ?
— Oui, exactement. Mais cette fois, la suite n’a pas tenu ses promesses…
Des tests avaient été réalisés dans leurs Tours magiques respectives, et les résultats étaient époustouflants. Alors, les habitants du Royaume accueillirent les nouveaux capteurs avec confiance.
Mais très vite… la magie se fissura.
Le médaillon affichait des erreurs lorsque les variations étaient trop importantes à son goût, tandis que la navette affichait de faux résultats dès lors qu’elle était un peu comprimée.
La réception des données était moins fluides. Il y avait des chiffres qui montaient trop vite, ou descendaient sans prévenir, indépendamment de la réalité du taux de sucre des habitants. Des alertes pour rien. Des variations sans queue ni tête. Il fallait à nouveau sortir l’ancien artefact piquant pour vérifier à l’ancienne.
— Et toi ? Tu les as testés ?
— Oui, c’est une nouvelle génération que je porte. Je ne lui fais plus vraiment confiance.
Le doute s’installa dans le Royaume. Pourquoi ces capteurs tout neufs étaient-ils moins fiables que les anciens ? Pourquoi fallait-il à nouveau calibrer, vérifier, corriger ? Et quel intérêt d’avoir un capteur petit et mignon, s’il ne disait pas vrai ?
Les réponses étaient évidentes… et elles n’étaient pas magiques.
Ces capteurs étaient simplement moins coûteux à produire. Et donc plus rentables. Même ceux qui utilisaient les Boucles Magiques, autrefois parfaitement compatibles avec la navette, virent l’étau se resserrer. Les anciens capteurs disparaissaient peu à peu, et aucun mage ne voulait admettre que la qualité baissait.
Alors ils redoublèrent d’efforts. De belles images. De grands discours. De belles promesses.
— Ça s’appelle du Marketing, Maman.
— Je suis surprise que tu connaisses ce mot, mais tu as raison. C’était du très beau marketing.
L’ultime trahison
Mais ce ne fut pas la dernière désillusion. Ce qui arriva ensuite acheva de révéler le vrai visage des mages.
Une étrange vague s’était propagée dans le Royaume voisin, celui des Moldus, ces gens dont les pancréas fonctionnaient encore. Là-bas, certains avaient commencé à poser des capteurs sur leur bras pour suivre leur taux de sucre, alors qu’ils n’étaient pas malades. Ils pensaient que cela améliorerait leur santé.
— Mais pourquoi ?!
— Parce qu’un jour, quelqu’un de charismatique a dit que c’était bien.
— Mais quand même, ils l’on cru ?!
— Tu l’as dit toi-même trésor, le Marketing.
Les voix du Royaume s’élevèrent. Des associations de patients, des médecins, des soignants alertèrent. Cette mode ridicule mettait la santé mentale des Moldus en danger, et humiliait les habitants du Royaume de l’Insulinodépendance. Ces capteurs, autrefois outils de survie, devenaient des gadgets de bien-être.
Les ruptures de stock se multiplièrent. Les mages ne semblaient plus faire de différence entre un besoin vital et une tendance. Puis le Royaume vota des lois pour protéger les siens. Il fut plus difficile voir impossible pour les Moldus de venir voler dans leur stocks.
Et c’est alors qu’au lieu de soutenir leur Royaume… les mages choisirent une autre voie.
Ils créèrent de nouveaux capteurs adaptés aux Moldus. Ils coûtaient encore mois chers, et contenaient moins d’enchantements. Le mage Abbott nomma le sien Lingo , et le mage Dexcom, Stelo. Ils expliquèrent que ces artefacts étaient conçus pour de bien-être des Moldus. Mais en réalité, ils visaient surtout… leur porte-monnaie.
— C’est comme s’ils avaient oublié pourquoi ils avaient créé cette magie ?
— Exactement. Les magiciens ne se souciaient plus vraiment du Royaume. Ils voulaient s’enrichir.
Les habitants du Royaume de l’Insulinodépendance comprirent qu’ils avaient été trahis. Qu’ils n’étaient plus le cœur du projet. Que la magie avait changé de camp, et que leur enchanteurs étaient définitivement corrompus.
Et même s’ils savaient qu’ils ne pourraient rien y faire, leur colère gronda dans tout le Royaume.
Morale de l’histoire
— Elle est horrible ton histoire, Maman.
— Je sais mon chéri… J’aurais aimé qu’elle se finisse mieux, moi aussi… Mais l’histoire s’écrit encore.
La mère de l’enfant resta un moment silencieuse, perdue dans ses pensées. Elle aurait tant aimé que Dexcom assume ce qu’ils avaient fait, et améliorent leur nouvelles générations de capteurs pour qu’ils demeurent au moins aussi fiables que le G6. Elle portait un Dexcom One +, depuis que son hôpital lui avait dit que seuls les utilisateurs de boucles fermées pouvaient continuer d’utiliser le Dexcom G6. Sa vie n’avait plus été aussi douce depuis. Et elle savait que le G7, qui présentait les mêmes problèmes, allait même un jour remplacer le G6 en boucle fermée. Il n’y avait pas d’échappatoire.
Elle soupira. Au moins, les FSL avançaient dans le bon sens, mais il semblait difficile pour Abbott de proposer un capteur véritablement précis et fiable dans des conditions de vie réelle…
Certains parlaient du Simplera de Medtronic, mais dans les pays qui l’utilisaient déjà, il ressortait qu’à part sa pose et son design, il n’y avait rien de bien plus précis. Elle espéra secrètement qu’un nouveau capteur émerge sur le marché et restaure l’excellence.
La jeune Maman n’avait jamais été passionnée de technologie. Elle rit intérieurement en se rendant compte de ce qu’elle avait été obligée d’apprendre et du temps qu’elle passait à faire de la veille technologique pour son Diabète…
D’autant plus qu’aujourd’hui, elle n’était plus seule.
—Bon, trêve de conte. Tu choisis lequel alors ? Le médaillon, le coquillage ou la navette ?
L’enfant grimaça. Comment était-il savoir lequel était le mieux ? Surtout après un tel conte ?! Il prit une grande inspiration et pointa du doigt l’image du capteur qu’il trouvait le plus beau.
THE END.