TÉMOIGNAGE

Le poids à payer

Asten Event 2022 - photo de groupe

Avant toute chose, j’aimerais rappeler qu’il s’agit d’un récit personnel. Il ne relate donc pas d’une vérité universelle, ni d’une analyse objective et complète du sujet et encore moins de conseils. Je vous confie ici mon histoire, certaines de mes émotions, et mes interrogations. Libre à vous d’en faire ce que bon vous semble, tant que vous ne manquez de respect à personne.

TRIGGER WARNING : Je parlerai ici d’alimentation, de vision de mon corps et de Troubles du Comportement Alimentaire (TCA), sans tabou ni filtre. Certains passages peuvent être perçus comme intenses ou difficiles.

Et dernière chose : c’est long, très long. Encore plus long que d’habitude. Bonne lecture si le cœur vous en dit.

J’ai toujours eu peur de la différence physique. Cette gêne quand quelqu’un vous fait remarquer que telle ou telle chose est bizarre chez vous. Je n’ai jamais oublié la première fois qu’un garçon s’est moqué de mes poils sous les aisselles, lorsque je n’avais que 10 ans. J’ai ressenti une honte physique pour la première fois, et je me suis alors intéressée à ce qu’il fallait être. Mais les poils, c’était facile. Cela pouvait s’enlever.

Lorsque j’avais 12 ans, mon professeur d’EPS m’a fait remarquer que « j’avais une grosse carrure pour une fille ». J’ai été très vexée, d’autant plus que je n’avais jamais considéré mes épaules comme un problème, notamment car je faisais beaucoup de gymnastique. Elles étaient mes alliées. Depuis ce jour là, j’ai toujours été intimement persuadée de ressembler à un camionneur dès lors que je levais les bras.

Mais j’imagine que nous ne sommes pas tous égaux face aux injonctions de la société envers les femmes. Même dans mon entourage, je dois reconnaître que je suis une des seules à être si dépendante du regard des autres. C’est quelque chose qui m’a toujours terrorisé, jusqu’à considérer les autres comme une potentielle menace. Aujourd’hui, je réalise que je suis devenue cette menace, à maltraiter mon corps, et exiger toujours plus, toujours plus fort.

Avant l’IF…

Le Diabète s’est invité dans ma vie lorsque je n’avais que six ans. À l’époque, on appliquait un régime strict, et je devais manger la même chose à la même heure. J’utilisais des seringues, dans laquelle on mélangeait de la lente et de la rapide, à raison de deux fois par jour, matin et soir. Si je voulais manger un éclair au chocolat, je devais le mériter, en courant par exemple, suffisamment pour provoquer une hypoglycémie. J’étais frustrée, et j’ai durablement altéré mon rapport à l’alimentation. Si je voyais un gâteau sur la table, il m’était impossible de me contrôler, et je me précipitais pour le dévorer avant de ne plus pouvoir. Encore aujourd’hui, les apéritifs me sont difficiles par exemple, car ils sont en nombres limités, à la portée de celui qui les mangera en premier.

Après l’IF…

Lorsque j’ai eu 14 ans, je suis rentrée du Mali (mon père était militaire), et j’ai été affectée à un service de diabétologie adulte. Je venais de vivre deux ans de tranquillité à l’étranger, et avant cela, j’étais en pédiatrie à l’excellent service de Robert Debré. Ce fut un choc énorme pour moi, et j’ai détesté mon diabétologue. Il a traité mes seringues de « traitement préhistorique », et m’a formé à l’insulinothérapie fonctionnelle (IF). Ma mère et moi avons suivi le même stage et aucune de nous deux n’a bien compris. Ce que j’avais bien retenu en revanche, c’était que du jour au lendemain, j’avais le droit de manger tout ce que je voulais, tant que je m’injectais l’insuline nécessaire pour compenser.

Le verdict fut sans appel, j’ai pris 20kg en moins d’un an, et mon HbA1C 3 points, avant de stagner entre 10 et 12% pendant près de dix ans.

À partir de là, j’ai maltraité mon corps. Comme tous ceux qui ne savent comment procéder, j’ai suivi des régimes tendances, acheté des livres, des crèmes, des appareils de massage, et surtout, je me suis affamée. J’avais faim tout le temps. À force d’aller contre mes sensations et faute d’avoir été accompagnée par une Anaïs Gaillot (elle était adolescente elle aussi après tout ahahah), j’ai complètement perdu confiance en mon corps. Et bien sûr, je craquais souvent, et je compensais après (dans mon cas je mangeais peu jusqu’à ce que je me sente moins coupable).

La f(a)im de mon ostracisation

Six ans plus tard, avec l’aide de plusieurs nutritionnistes, beaucoup de plans alimentaires et une haine extrême de mes rondeurs, j’ai réussi à perdre 15 kilos. Mais j’avais toujours faim. Tout le temps. Et je devais me contrôler, très fort, et tous les jours. Je me disais que si je perdais le contrôle, je redeviendrai grosse et dégueulasse. J’avais la vingtaine, et j’étais ravie de peser moins lourde sur le dos des chevaux. Une part de moi était également satisfaite d’attirer l’attention de mes pairs masculins, tandis que l’autre les haïssait de m’avoir écarté de toute romance jusqu’alors (parfois les mêmes, d’ailleurs…je vous hais toujours).

J’étais contente d’avoir minci, mais inquiète de perdre le contrôle. De plus, j’étais toujours insulino-résistante, et je ne parvenais pas équilibrer mon Diabète. Je refusais aussi catégoriquement la pompe à insuline. Je venais à peine de me trouver potable, je ne tenais pas à me balader avec « ma perfusion » comme je le disais avec finesse.

La genèse de mon blog

En 2016, je créais la page Facebook La Belle & le Diabète, puis mon site internet. Je peinais à maintenir mon poids, et malgré de nombreux stages d’IF, je n’arrivais toujours pas à gérer mon foutu Diabète. À l’époque j’étais en colère contre les diabétologues, qui ne m’étaient d’aucune aide, et je détestais les diabétiques bien équilibrés qui prêchaient que c’était pourtant facile. On n’avait pas la même vie, de toute évidence.

L’ivresse de l’effort

En 2018, une rencontre fortuite m’a propulsé dans le monde des Spartan Races, enterrant peu à peu la cavalière pour réanimer l’ancienne gymnaste qui était en moi. Je me suis jetée dans le sport, y voyant l’opportunité de sécuriser ma silhouette et même de l’améliorer. J’ai couru, rampé, nagé, fait des squats et beaucoup de burpees.  J’ai aussi souffert, car je ne prends pas de plaisir lorsque je sors de ma zone de confort.

J’ignore si cela est dû à mon Diabète, mais lorsque j’entre dans cette fameuse zone rouge, c’est un véritable système d’alarme qui s’enclenche dans ma tête. Je ne sais pas me forcer alors et je ralentis ou m’arrête.

Pour moi, vomir après du fractionné revient à m’infliger une après-midi d’acidocétose, et je m’y refuse. C’est trop éprouvant. J’avais honte, mais ne pouvant me pousser aussi fort, j’ai dû accepter d’aller plus lentement que les autres. Aussi, et cela était prévisible, je me sentais obèse parmi les athlètes. J’étais fière, et insatisfaite à la fois.

Dans les rouages de l’optimisation

En 2020, j’ai eu un déclic et ai accepté de porter une pompe à insuline : l’Omnipod. En 3 semaines, je suis passée de 10% à 6% d’Hba1c (c’est très mauvais pour la santé, par ailleurs). Tout à coup, j’avais les armes pour combattre. Le plaisir d’aplatir ma courbe, mêlé à mon perfectionnisme m’a cependant rapidement mené sur un chemin bien sombre. Comme beaucoup d’entre nous, j’ai commencé à être obsédée par le contrôle de ma glycémie. Je passais littéralement mes journées à jongler entre les débits temporaires, les arrêts et les correctifs. Quand j’ai commencé à voir les limites de mes actions, j’ai décidé d’attaquer mon alimentation.

Le début de mes dingueries alimentaires

Fascinée par les impacts positifs d’une alimentation pauvre en féculents et en graisses saturées sur mes glycémies, j’ai priorisé les courbes plates aux besoins de mon corps. Lorsque j’ai découvert la boucle fermée CamAPS FX en 2021, je ne mangeais de vrais repas que tous les 3 jours, et uniquement parce que je craquais. J’avais arrêté de petit déjeuner, pour admirer plus longtemps la continuité de la courbe plate de ma nuit (et ne pas rappeler à mon corps que je CREVAIS LA DALLE). Je limitais mes quantités de féculents et j’avais arrêté de manger du pain, qui rentrait ma catégorie sucre inutile. J’étais obsédée par ma sensibilité à l’insuline, et j’ai même passé 3 mois à éradiquer complètement la nourriture transformée, les sucres industriels, la graisse saturée et les féculents blancs. Au début, mon Diabète s’était complètement incliné face à ma folie. Puis vers la fin de mon expérience, mon corps ne fonctionnait plus correctement et ce délire s’est arrêté sur des patates douces à la vapeur qui m’ont provoquées un HI (plus de 5g).

Tout sous contrôle… ou presque

Entre temps, je m’étais mise à la boxe Muay Thaï, et de 2022 à 2023, j’étais à mon apogée en matière de physique. De mon côté, je me considérais passable, mais j’étais contente. Je n’avais plus à rougir devant mes selfies (intelligemment cadrés bien sûr) en brassière ou toute autre vidéo où on voyait partiellement mon corps, notamment pour montrer mes dispositifs ou les accessoires.

Par contre, je me trouvais toujours énorme. Surtout, à tout hasard, sur cette photo de groupe lors d’un entraînement de boxe à la plage, sur laquelle mes cuisses étaient presque deux fois plus larges que le reste des boxeuses. Et j’avais peur de grossir. Je faisais régulièrement des cauchemars, durant lesquels je me levais magiquement avec 20kg de plus. Il m’arrivait d’avoir peur d’aller dans ma salle de bain le matin.

Quand j’ai vu la lumière (mais en fait c’était le Dr.Bekka)

En 2023, j’ai eu l’immense plaisir de rejoindre l’IDNC pour un séjour de 3 semaines. Mon objectif était bien entendu d’optimiser mes réglages et améliorer ma sensibilité à l’insuline par une autre méthode que mon dernier délire alimentaire en date. J’ai appris beaucoup, (je vous laisse lire tout cela ici, mon article est déjà BEAUCOUP trop long) repris les petits-dej, les féculents, (même les blancs), et triplé mes quantités. Là-bas, j’avais même perdu 1kg que de gras ! Je réalisais combien j’avais fait fausse route, et j’étais pleine de belle résolutions et de projets.

Puis j’ai raté la marche

En septembre 2023, j’ai quitté la Provence pour vivre dans Centre-Val-de-Loire ! Je voulais des saisons, du vert (fluo), et une maison avec jardin à un prix abordable pour mes chiens. J’étais sûre d’atteindre le nirvana de mon bonheur. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que mon corps était fatigué de mon contrôle (je m’excuse pour ceux que ça perturbe que je parle de mon corps comme d’une entité à part entière, mais c’est comme ça que je le vis). Et que ma nature anxieuse allait prendre un nouveau tournant en terre inconnue. Et j’avais aussi lourdement sous-estimé les dépressions hivernales.

Bref. J’ai brisé ma belle et précieuse routine, et j’ai atterri à Saint-Hilaire-La-Gravelle stressée, fatiguée et perdue. Il n’y avait pas mon magasin de fruits et légumes ou la boutique bio en face. Il y avait Intermarché. Le lieu où j’allais pour craquer et acheter tout ce que je considérais comme sale. J’ai commencé à grossir.

Quelques mois plus tard, j’ai décidé de débuter un accompagnement avec Anaïs Gaillot, une diététicienne spécialisée en TCA (Troubles du Comportement Alimentaire). Je savais qu’il y aurait de la matière dans mon histoire, et le timing me semblait bien choisi puisque j’avais quelques kilos à perdre.

Et mon TCA kiffa sa life

J’étais complètement dans le déni les amis… Rapidement, Anaïs m’a fait prendre conscience de mon état réel. N’étant plus protégée par ma routine et mon (monstrueux) contrôle d’antan, je suis partie en cacahuètes. Dès lors que quelque chose me contrarie, d’une erreur au travail à un coup d’œil dans le miroir en passant par une bêtise de mes chiens, je décide naturellement de me punir en sautant le repas suivant. Ce que je croyais être le résultat de ma flemme de cuisiner ou d’une mauvaise gestion de mon temps était en réalité bien plus grave. Il y a un pattern. Et la plupart du temps, c’est si naturel que je ne m’en rends pas compte. Résultat, je m’affame, avant de craquer, puis de culpabiliser, et on recommence. Pour résumer grossièrement, mon corps s’est mis à stocker à mort à chaque calorie, afin de faire des réserves. Pour me sortir de cela, il me faut reprendre une alimentation régulière et en quantité suffisante. On m’avait prévenu, la prise de poids était inévitable vers le chemin de la guérison. Du moins le temps que mon corps reprenne des forces, se détende en comprenant que la famine par intermittence est finie, et se déleste naturellement du trop plein. Un superbe programme n’est-ce pas ?

Surpoids et DT1 : pas le couple de l’année

Nous sommes en janvier 2025, et j’ai pris 20kg. Ça ne vous rappelle rien ? Oui, oui, les 20kg que j’avais réussi à perdre en 6 ans après mon passage sous IF. Le message est clair et fait mal. Contrairement à ce que j’avais pensé toutes ces années, ce n’était pas si réussi et durable que cela. Mes besoins en insuline ont doublé, et après plus de 5 ans à tourner autour de la même Hba1c irréprochable, j’ai pris plus d’1%. J’ai la sensation de perdre le contrôle sur TOUT, et ce n’est pas positif. La durée moyenne de guérison d’une boulimie compensatoire est de 3 ans, mais on ne peut prédire quand et si je perdrai du poids.

Mon cauchemar est devenu permanent, et je vois ce corps que je peine à reconnaître chaque jour dans le miroir. Je suis celle qui l’a malmené au point d’en arriver là. Et pourtant, je suis en colère contre lui. Je le déteste, il me dégoûte et je ne peux rien faire de plus que tout ce que j’ai déjà mis en place avec une armée de professionnels de santé spécialisés. Je ne sais pas si je vais retrouver un jour un corps que j’arriverai à (peu près) à aimer.

Le chemin à parcourir

On m’explique désormais en toute bienveillance que le respect et l’amour de mon corps ne devraient pas être conditionnels. Que je peux accepter mon corps sans renoncer à vouloir le changer. Que la haine de soi ne résout rien et ralentit même le processus. Que mon poids ne définit pas ma valeur en tant que personne. Que même avec 20kg de plus, je mérite toujours d’exister.

Mais moi, je piétine

Et moi, j’ai arrêté de me montrer en stories comme je le faisais, je ne prends plus que mes chiens en photo, j’ai dû arrêter la boxe car je suis aussi en état inflammatoire avec une belle rétention d’eau, et que c’est devenu trop douloureux. J’ai des jours entiers où je peine à m’asseoir et je ne supporte aucune pression sur mon ventre. J’ai pleuré en écrivant cet article et je suis tout à fait capable de vomir si je me regarde trop longtemps dans le miroir. Il y a des personnes que je refuse de revoir tant que je n’ai pas perdu du poids. J’ai perdu le goût du sport car je ne supporte plus de sentir mon corps.

DT1, surpoids et amalgames

Et j’aborde le sujet ici, en prenant le risque de vous choquer (vous n’êtes plus à ça près après tout), mais j’ai le sentiment d’avoir perdu ma légitimité à sensibiliser autour du Diabète de type 1. Je suis triste et mal à l’aise de contribuer malgré moi à la confusion entre le DT1 et le fait d’être en surpoids. Je n’ose plus reprendre les gens. Je n’ose plus parler de nutrition, de sport ou de bien-être. Depuis que j’ai repris mes 20kg, j’ai le sentiment de ne plus avoir le droit d’exister.

La conclusion qui pèse dans le game

Alors non, ce témoignage n’est pas très joyeux, et il n’est pas non plus un appel au secours ou une demande silencieuse de conseils et d’avis inopinés. Il est là parce que c’est ce que je ressens, et que peut-être en laissant exister cette réalité, cela me permettra d’aller de l’avant.

Un peu différent de mes témoignages habituels, hein ?
J’ai essayé de vous prévenir en stories, mais vous aviez tous l’air enthousiastes en sondage.
Peut-être que certains d’entre vous se reconnaitront dans mon récit. Peut-être même que quelqu’un cherchera à son tour sa propre Anaïs Gaillot et empruntera aussi le long chemin de la guérison… Sachez-le, en tant que diabétiques, nous sommes beaucoup plus à risque de développer un TCA. Prenez bien soin de vous !

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